D’une politique pour un Québec numérique…

Naturellement, je ne peux qu’être d’accord avec la lettre ouverte que plusieurs ont publiée et fait parvenir, je l’espère, en format papier (!), au premier ministre.

Cependant, pour être bien au fait des coulisses de la future « stratégie de développement de l’industrie québécoise des technologies de l’information et des communications » en évolution depuis 2007 au MDEIE et dont plusieurs espèrent un dévoilement d’ici la fin de 2008, je peux vous dire qu’on (notre industrie) a encore beaucoup de travail à faire pour que notre gouvernement partage la vision moderne qui semble émerger de l’industrie.

Préalablement, il faut savoir que le Ministre Bachand a déclaré au journal Les Affaires, il y a quelques mois, qu’il n’y aurait pas de « politique des technologies de l’information ». Une stratégie étant moins impliquante qu’une politique d’après ce que j’en comprends. Dommage. Il faudrait aussi probablement les convaincre de lâcher le terme TIC pour se concentrer sur une vision « numérique » beaucoup plus large et engageante, loin du technologisme obscur auquel on tente de réduire la problématique.

J’aimerais cependant ajouter quelques enjeux à la réflexion, question d’aller encore plus loin. J’en oublie sûrement, mais voici :

Pour les citoyens :

  • Encourager les entreprises et institutions publiques à partager gratuitement leur capacité Internet, à travers notamment des projets communautaires comme Ile sans fil, ZAP Québec ou ZAP Sherbrooke.
  • Faire confiance aux jeunes générations et à leur capacité à aider les vieux, plutôt que de chercher à les isoler pour les protéger.

Pour l’industrie :

  • Soutenir et encourager le développement de fonds de capital de risque privé québécois, par des mesures fiscales concurrentielles pour les investisseurs.
  • Aligner les programmes d’aide aux entreprises pour ne pas créer de dépendance ou de paresse et assurer la compétitivité à long terme de notre industrie (voir le mémoire que j’ai déposé via TechnoCompétences au Groupe de travail Gagné).
  • Équilibrer les programmes d’aide pour encourager l’innovation et la recherche plutôt que les activités à faible valeur ajoutée (entretien de système, bureautique, etc.), ce sont d’ailleurs les conclusions du Rapport Gagné.
  • Combattre à long terme le manque de main d’oeuvre spécialisé, par une meilleure intégration et un recrutement plus efficace des immigrants, la disponibilité de formation continue adaptée aux réalités et aux besoins de cette industrie, et la mise en place d’espace réel ou virtuel de partages d’expertises avec de véritables spécialistes de partout dans le monde.
  • que le gouvernement s’adapte (et comprenne? et adopte?) les nouvelles réalités et les modes de fonctionnement unique des travailleurs et des entreprises de cette industrie et en tienne mieux compte dans ses politiques autant que dans ses opérations : communication en ligne (pourquoi des lettres en Word attaché à des courriels?), dépôt direct (pourquoi toujours des chèques pour payer les factures?), coworking, entreprise réseau, réseaux sociaux, travail collaboratif, travailleur autonome, télé-travail, etc.

Pour l’éducation :

  • s’assurer que le financement des programmes informatiques dans nos universités retrouve un niveau adéquat. Depuis la fin de la bulle, il n’y a plus grand monde dans les programmes informatiques, qui dit moins de monde, dit moins d’argent, qui dit moins d’argent, dit coupure et manque de mise à niveau des professeurs. (Saviez vous que l’Université Laval n’enseigne, dans son département d’informatique, pratiquement plus rien sur Unix ou le Macintosh, concentrant son action sur les plateformes Microsoft?)
  • S’assurer que, malgré la tentation, nos programmes de formation universitaire et collégiale (en informatique et en gestion entre autres) ne soient pas à la solde des firmes technologiques qui les financent aujourd’hui, limitant ainsi la flexibilité (et la créativité) des diplômés. La contribution monétaire de l’industrie est certainement appréciable compte tenu du vide laissé par le gouvernement, mais est-elle intéressante pour la société à long terme?

Pour le gouvernement :

  • Qu’on écarte rapidement certains gestionnaires qui, depuis trop longtemps, n’ont pas su démontrer la vision informatique nécessaire (soit par manque ou par excès d’ambition) pour mettre en place des systèmes « simples, efficaces et conviviaux » pour les travailleurs de l’état et les citoyens (centrés utilisateurs quoi!)
  • Qu’on cesse de considérer l’Internet, le Web et plusieurs outils modernes comme des ennemis de la sécurité ou de la productivité, qu’on arrête de considérer tous les fonctionnaires comme des gens pas assez intelligents et matures pour utiliser les merveilleux outils à leur disposition pour mieux faire leur travail d’interaction avec les citoyens. Il y a suffisamment de solutions technologiques pour protéger les réseaux et les informations confidentielles sans limiter l’accès des fonctionnaires aux ressources externes.
  • Qu’on mise sur l’ouverture, la normalisation, le partage et le développement informatique ouvert. Surtout, qu’on vise la prise en charge interne des développements de projets numériques stratégiques, sachant qu’une vision impartie n’est plus une vision.
  • Qu’on donne l’exemple aux citoyens et aux entreprises, particulièrement dans l’efficacité et la convivialité des solutions interactives proposées!

Vous comprendrez que je m’insurge simplement parce que j’ai de très grandes attentes quant au rôle exemplaire que doivent jouer les gouvernements à l’ère numérique. N’y voyez pas de ma part un désir d’interventionnisme ou de contrôle de l’État, ma foi en l’entreprise privée et dans l’action citoyenne a souvent été démontrée. Voyez y plutôt un désir d’efficacité et d’optimisation de son rôle et de son action. Mais surtout, voyez y une occasion de leadership auprès de l’ensemble de la société, d’un témoignage concret que les technologies numériques (bien utilisées) contribuent à l’innovation et à la richesse d’une société, de ses entreprises et de ses citoyens.

À ce stade je me pose surtout de grandes questions sur le « pourquoi » et le « comment » de l’incapacité (avouons-le!) gouvernementale à opérationnaliser des visions pourtant habilement définies dans le passé. (Michel Dumais soulignait via Twitter, le discours de Parizeau, le rapport Berlinguet et le rapport Gautrin, a qui on peut reprocher d’avoir été formulés par des immigrants numériques (y’a pas beaucoup de « jeunes branchés » dans leurs comités aviseurs respectifs!) ou d’avoir été placé sur des tablettes trop rapidement (prévisible?). Ils contiennent pourtant l’essentiel de ce que devrait être une Politique et un plan d’action pour un Québec numérique, mais n’ont jamais été pris au sérieux. La question demeure: est-ce un problème de planification, de volonté ou d’ambition?

15 réflexions sur « D’une politique pour un Québec numérique… »

  1. Une excellente lecture …

    Je t’envie d’être dans les coulisses du MDEIE. J’aimerais pouvoir y donner mon grain de sel et tenter de faire changer les choses. Je suis cependant rassuré de t’y savoir là. Disons que nous y avons un digne représentant!

  2. Disons que certaines personnes travaillent forts à ce que le MDEIE élargissent son procédé de consultation. La lettre ouverte n’étant qu’un symptômes des bonnes idées provenant de l’industrie.

    Pour le reste, je fais mon possible dans la limite de la capacité d’un entrepreneur à redonner à l’État une partie des leviers dont il nous fait grâce! 😉

  3. «qu’on arrête de considérer tous les fonctionnaires comme des gens pas assez intelligents et matures pour utiliser les merveilleux outils à leur disposition pour mieux faire leur travail d’interaction avec les citoyen»

    Si vous saviez à quel point vous dites vrai. Par ailleurs, il faudrait une alliance numérique beaucoup plus large, avec le milieu communautaire, le milieu de l’éducation, les municipalités en région éloignée, les créateurs, pour forcer le gouvernement à exercer un leadership qui peut aider le Québec à prendre le virage numérique.

    En passant, ici à Québec, au niveau municipal, c’est proprement décourageant de constater l’immense fossé entre des initiatives telles ZAP Québec et l’indifférence de l’administration municipale envers les possibilités qu’offre les nouvelles technologies. Des fois on dirait qu’il nous manque deux décennies aux 400 ans.

  4. « ne soient pas à la solde des firmes technologiques qui les financent aujourd’hui, limitant ainsi la flexibilité (et la créativité) des diplômés. »

    Il est vrai que le financement effectué par des firmes privées est un fléau lorsque ceux-ci imposent leur vision technologique des choses aux directeurs de programmes. Il faut aussi prendre en compte que ce sont ces mêmes firmes qui offrent des stages aux étudiants universitaires.

    Je crois que les petites firmes agiles devraient offrir plus de possibilités de stages pour donner une chance aux étudiants de découvrir d’autres façons de faire les choses.

    En étant sur le terrain, je dois dire que la majorité de la population étudiante s’intéresse aux solutions technologiques alternatives malgré la forte sollicitation de Sun ou de Microsoft.

  5. Bravo pour cette vision inspirante d’un Québec numérique! Aux enjeux énumérés, il faudrait ajouter l’accès universel à Internet ‘haute vitesse’ sans lequel on risque de devenir numériquement sous-développé sinon complètement déphasé!

  6. « Faire confiance aux jeunes générations et à leur capacité à aider les vieux, plutôt que de chercher à les isoler pour les protéger. »

    On ne saurait dire mieux.

  7. Superbe Carl-Frédéric. Et j’ose même dire magistral.

    Ça me rappelle que Parizeau a été le seul à avoir un ministre en titre, David Cliche, dit de l’Autoroute de l’information, expression qui avait court avant qu’on accepte le fait qu’Internet était inarrêtable. Pour l’avoir à l’oeil, il l’avait conservé sous sa propre responsabilité au lieu de le cantonner dans la culture ou, impensable à l’époque, en économie.

    On aurait pu s’attendre à ce que les Libéraux comprennent plus vite parce que plus près des milieux d’affaires. Ils pensent encore trop en terme de grands projets qui vont être visibles et changer le paysage. Là, ils sont rendus dans le Grand Nord. Après, ils iront où ?

    C’est désolant quand on aurait pu être dans le wagon de tête en nous servant du réseau pour nous propulser à l’avant-garde au XXI ème siècle. Pour rejoindre maintenant les premiers sur Internet autant que dans le sans fil, dont la France et plusieurs pays asiatiques, il va nous falloir manger des croutes et accélérer la cadence avant de pouvoir reprendre notre souffle.

    Et je ne savais pas que nos universités, supposément neutres, concentraient leurs cours sur les produits de Microsoft alors même que tout converge vers des technologies ouvertes qui permettent de s’en passer totalement à des coûts dérisoires. On ne verra pas de sitôt d’ex-étudiants de l’Université Laval aboutir dans les rangs les plus élevés des entreprises de la Silicon Valley, comme ça s’est déjà vu chez Sun, où les exigences ne sont pas de maîtriser les entrailles de Vista.

  8. Excellent papier mon cher CFD… j’en discuterais bien autour d’une bonne chouffe et d’un « roteux » européen au Temps Perdu… qu’en dis-tu…?

    Bin oui, des émotions intelligentes comme celle-ci, ça me creuse… et me donne soif…!!

    Au plaisir,

  9. MAUTADINE CFD! Je suis encore d’accord avec toi et même jalouse de ton acuité. Ça devient dangereux et ça m’inquiète. Va falloir que je commence à te considérer guru dans certains domaines…

  10. CFD, un mot : génial (ton texte, surtout pas les popolitiques à la con qu’on nous sert et qui nous font reculer au lieu d’avancer.)

    Je suis désolé de plus en plus, au fur et à mesure que je découvre des imbécillités, des trucs rétrogrades et autres pantalonnades du genre (Microsoft’UL, épidémies de .doc attachés anti-efficacité, juste pour faire beau pour la personne qui a tapé ledit document, le site du RQAP Microsoft only (et même MSIE only… MSIE, c’est-tu le cousin du MDEIE ?…), etc., etc., etc.)

    Devant ce triste état de fait, devant le fait que le Québec, numériquement parlant, s’enfonce de plus en plus dans les sables mouvants de la sacro-sainte et inefficace paperasse de formulaires et de dédales inutiles, devant le fait qu’en éducation, on continue de se réfugier derrière une pseudo-sécurité facilement contournable par les plus aguerris (des élèves, bien sûr), devant le fait qu’en éducation, on n’éduque même pas (de la façon mentionnée ci-devant), devant tous ces exemples de conneries, toi, CFD, tu proposes des pistes que je trouve excellente.

    Voilà pourquoi j’hyperlierai sans doute ton texte bientôt (si je trouve le temps de mettre mes idées en ordre un peu plus… ;-))

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