du lieu.

Hier, nous disions adieux au 9e étage. Inauguré le 9 septembre 2009, à 9h09, par iX (9?) média, ce lieu marque une époque, 12 ans de vie quotidienne. Un changement qui n’était même pas imaginé le 12 mars 2020 alors qu’il nous restait 5 ans de bail confortable, cette vue dominant la ville et ces couchers de soleil. Il aura vu naître de nombreux projets, de nombreuses entreprises, de nombreux partenariats, et vu passer le « groupe » de 20 à plus 50 personnes en quelques années.

En 1995, nous avons créé une entreprise, à deux pas de nos anciens patrons, sur le chemin Sainte-Foy (2778), coin Chanoine-Scott, 3 e étage. Merci feu Gaston d’avoir fait confiance (quand même!) à des jeunes qui refusaient que leurs parents endossent le bail. Merci aussi de nous avoir proposé de prendre le large après 4 ans, question d’aller explorer les terres encore vierges, mais subventionnées de Saint-Roch. Ce local était étrange, décoré de colonnes néo-gothiques en métal, de faux fini marbré et d’un savant mélange de mobilier du Bureau en Gros. Mais on y a tout appris. La gestion, la communication, les RH, les finances, la clientèle (de toute sorte!), etc. Toute une époque.

En 1999, nous sommes arrivés avec une équipe de 8 dans St-Roch, 4e étage, 335 St-Joseph, premier arrivant dans un immeuble « historique » en reconstruction, promu par un animateur de radio alors populaire, mais rapidement déchu. Un loft au plancher de bois, un édifice un peu tout croche, mais avec tout le cachet de ce que méritait une entreprise techno (babyfoot et table de billard en moins). Un point central dans le « Nouvo » St-Roch, où l’on a pu être témoin de la démolition d’un mail, de l’évolution de la faune urbaine, du développement (pas toujours en ligne droite) de l’offre commerciale, et de notre attachement à d’autres pionniers du quartier (la Brûlerie, le Cercle, le Clocher).

Un agrandissement, deux agrandissements, et dix ans plus tard, avec une vingtaine de personnes, c’était le temps de trouver plus grand et plus confortable. C’est là que l’édifice Beenox est arrivé dans l’histoire, la tour neuve en béton dominant la ville. C’était un état d’esprit aussi. Voir loin. C’est aussi le début de Kabane, une alliance née d’une napkin dessinée entre Simon et moi à la table avant du Cercle. La vision que les gens de web ne savent pas nécessairement faire de l’image de marque, et que les gens de marques savent pas tant faire du web. Ça fonctionne encore bien, signe qu’on devait pas être trop loin d’une vérité. 🙂

A quelques époques, on avouera avoir regardé pour déménager ou pour investir dans un local à nous. Jamais n’avions nous trouvé de solution simple et avantageuse, ce qui nous avait raisonné à rester jusqu’en 2025. Puis la pandémie, l’obligation de se dématérialiser, de « télé-travailler ». Une transformation plus radicale qu’on ne le croirait, même pour les « modernes boites jeunes et technos » que nous sommes. Oui, parfois plus de travail, mais quand même beaucoup de fatigue et de frustration dans la communication et la gestion de tout ça. Mais assurément la preuve qu’un « local » ne servirait plus jamais de la même façon.

En pleine discussion sur ce que devrait être le lieu de travail du futur, cet appel: les voisins ont besoin d’espace, on aurait l’opportunité de rompre le bail honorablement (et économiquement). Un peu tanné des réflexions dans lequel le mot « hybride » revient tout le temps et dans lequel on parle de dynamique patron-employé est mise en opposition (« forcer le retour au travail », « encadrer le télé-travail », « revenir à la normale »), j’ai préféré une réflexion différente, qui tourne au final autour de quatre points. Listés ici pour mémoire.

Un lieu de rencontres: l’essence même d’un bureau, c’est le lieu de rencontres, la rencontre c’est une grosse partie de notre travail, le télé-travail a bien souligné ça, le lieu c’est un symbole, c’est un endroit où tout peut converger, à la guise de chacun. Il n’a pas la prétention d’être plus ou moins efficace sur la productivité directe, il sert la communication formelle et informelle et reste un phare de référence pour tout le monde, clients comme équipe. Plus de salles de rencontres, plus de sofa, plus de liens avec la périphérie (mine de rien, l’équipe s’étend de l’Abitibi à la Gaspésie maintenant). Toujours pas de babyfoot ou de tables de billard.

Le plancher des vaches: étrangement, ce qui motive le plus dans tout ça, c’est le fait que notre nouveau quartier général est au niveau de la rue. Être dans son télé-sous-sol, être au neuvième étage, être dans un parc industriel ou être à Lebourgneuf ou à Laval, ça finit par nous éloigner du monde, le vrai monde. Et bien honnêtement, dans le numérique comme dans la communication, on ne peut pas s’éloigner trop du vrai monde si on veut rester pertinent. J’ai hâte que des amis arrêtent en passant, que des projets se forment avec les voisins, que l’on arpente la rue St-Jean, que l’on descende dans St-Roch, ou que l’on monte sur Cartier. Une des promesses des urbanistes du quartier du « multimédia », c’était la collaboration entre les entreprises, les universités, la culture, les commerçants… au final, il y a tant à faire encore, pour provoquer cette rencontre, faire sortir le monde de leur tour, les rassembler sur le plancher des vaches (le jardin Jean-Paul-Lallier fait ça à sa façon, le Parc Victoria aussi plus récemment, et y’a de l’espoir avec la nouvelle bibliothèque (si on a droit d’y parler un peu)). Nous on sera déjà sur le plancher, plus terre à terre.

La vie de quartier: notre déménagement dans un nouveau quartier en 1999 nous a appris qu’on était aussi une forme de moteur économique, qu’on ajoutait 50 ou 60 personnes à la dynamique d’une rue commerciale (merci Arnaud de me l’avoir souligné l’autre jour!). Impossible pour nous de déménager loin du centre, essentiel de rester dans les quartiers animés, et de s’y impliquer (de toutes sortes de façon!). Très hâte d’être visible sur la rue, de vivre le quartier. D’y être un lieu de convergence, à sa façon.

Maitre chez nous: Locataires pendant près de 25 ans, nous avons eu la chance d’acheter ces deux condos commerciaux qui hébergeront iXmédia, Kabane, Septembre Éditeur, et peut-être un ou deux autres amis. Outre la logique économique, la liberté d’action, et l’illogisme logistique (on va se le dire, ça génère des apprentissages particuliers (en financement, en aménagement, en architecture et en construction, particulièrement si te ne suis par le prix du plywood quotidiennement, si tu n’avais pas compris que designer-programmeur c’est pareil comme architecte-constructeur, et si tu n’avais pas compris la variabilité des relations banques-clients)). Mais maître chez nous, c’est vraiment intéressant quand on souhaite des projets qui se font dans la durée et l’intelligence. Comme on les aime.

Outre tout ce qui précède, j’ai lu tous les articles sur « les bureaux du futur », « les modèles hybrides », « la normalisation du télé-travail », « l’employeur face au télé-travail », et au final, j’y ai lu bien des buzzwords et bien des efforts de cadrer l’incadrable (d’un côté comme de l’autre). Je préfère qu’on laisse à tout ce monde l’intelligence de leur mode de travail, tout en donnant accès à un lieu où leur créativité et leurs intelligences pourront se mettre en réseau physiquement, moi j’y serai souvent en tout cas. 🙂

11 réflexions sur « du lieu. »

  1. Si je te lisais pour la première fois, je m’arrangerais pour te croiser quelque part sur la nouvelle rue et t’écrire ensuite que maintenant qu’on se connaît, ta vie va changer, en espérant que j’aie raison 😉

    Quelle brillante tête humaniste.

  2. Très heureux de faire partie de ce superbe projet. Hâte de voir la nouvelle dynamique, c’est vrai que passer d’un neuvième étage au plancher des vaches va changer l’expérience et notre état d’esprit.

  3. Ce que j’aime de toi CFD, c’est que tu transformes toujours l’absurde en fabuleux en mettant la créativité au centre de tes réflexions et prioriser ton monde numériques autour des nouvelles réalités. Bref, un vrai leader :-).

  4. Changer de bureaux c’est un peu comme changer de peau. C’est souvent l’aboutissement d’une mutation, d’un désir d’être autrement, de l’émergence d’une nouvelle sensibilité.

    Puissiez-vous trouver dans cette énergie la source de votre prochaine étape. De ce qui sera, sans que vous ne le sachiez trop précisément encore, la fierté de vos dix prochaines années!

    J’imagine déjà le billet de 2032. 🙂

    Longue vie !

    Les amis Dancause d’en haut de la pente douce.

  5. L’humain, le gros bon sens, ne pas créer de boîte là où il ne doit pas y en avoir. Comme ça on n’aura pas besoin de penser en dehors de la boîte. On fera juste penser et vivre.

  6. Quelle belle histoire inachevée, toujours en bourlingue! Compliments… tu fais mieux, dans les circonstances, qu’Apple (quoique la comparaison soit bancale).

    Le lieu agit sur la pensée, et qui n’y prend garde finit par s’incruster comme dans une gangue. Mais il a aussi ses avantages, que tu décris bien. Il faut une sacrée intelligence pour prôner « qu’on laisse à tout [le] monde l’intelligence de leur mode de travail ». Pour que cela se réalise, il faut d’abord qu’elle carbure à la tête de l’entreprise. Tous n’ont pas la chance d’un lieu qui nourrit l’intelligence collective.

    Je ne le croyais pas possible, mais je suis encore plus admiratif de ton aventure.

  7. Comme c’est bien raconté! Je vous envie et j’aimerais vraiment être tout à côté…un jour peut-être!
    Merci CF pour ce texte encourageant! Luci

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